Penser la séparation des flux
Si Léonard de Vinci l’avait déjà envisagé dans sa Città Ideale à la fin du XVe siècle, c’est au cours du XXe siècle que le concept de séparation des flux connaît un grand succès auprès des architectes et urbanistes. Face aux nouveaux dangers liés à l’intensification du trafic routier et aux problématiques que soulève l’étalement des villes, se pose la question de l’intégration des voitures aux réseaux urbains.
La Rue future
Au XXe siècle, c’est durant la conférence Les villes de l’avenir d’Eugène Hénard en 1910 qu’est évoquée pour la première fois la « rue future » : qui par la création de nouveaux niveaux permet de cacher à la vue les infrastructures urbaines, sous des sols artificiels. Affirmant une idée de développement vertical, ce projet se propose donc aussi de palier à l’étalement de la ville.
L’Utopie de nouvelles Venises
Dans les années 20, ce concept est mis au service d’utopies radicale telle que la Ville Radieuse (1922) du Corbusier, qui imagine développer des « autostrates » en hauteur pour les voitures, tandis que les piétons se voient dédier la terre ferme, le vrai niveau du sol. Proposé au salon d’automne de 1922, il sera appliqué à la ville de Paris dans le plan Voisin en 1925. Aux Etats-Unis, Hugh Ferriss et Harvey Wiley Corbett imaginent des plans d’une New York radicalement transformée par des voies routières élargies, que surplombent passerelles et piétons. Comparant leurs plans à ceux d’une Venise où les canaux matérialisent la séparation entre les piétons et les moyens de transport, ils imaginent donc une ville ré-inventée pour laisser place aux voitures dont le nombre augmente toujours.
Premières réalisations britanniques
Continuant de générer des utopies jusque dans les années 50-60, cette pensée de la ségrégation verticale des flux voit le jour concrètement au Royaume-Unis, par exemple dans le centre ville de Cumbernauld créé entre 1955 et 1966. S’il réalise enfin l’idéal que représente la création de sols artificiels ayant vocation à protéger les piétons des nuisances sonores et des dangers du trafic routier et ferroviaire, Cumbernauld sera désignée « ville la plus laide d’Ecosse ». Cette remarque donne déjà une idée des critiques qui pourront être adressées par le futur à l’urbanisme sur dalle.
Le Barbican Center
Le Barbican Center de Londres réalisé entre 1955 et 1977 par le cabinet Chamberlin, Powell & Bon est lui aussi un exemple concret de l’application de ces concepts.
Une Réflexion autour de l’organisation urbaine
Le rapport Buchanan Traffic in Town, produit en 1963 sur commande du Ministère des transports britannique synthétise toutes les théories qui ont amené à la séparation physique des flux urbains. Il ne constitue pas tant un ouvrage programmatique – puisqu’il paraît alors que l’engouement pour cette stratégie verticale est déjà en train de pâlir – qu’un véritable condensé des réflexions qui ont amené à cette stratégie. Il y résume la problématique posée aux urbanistes de l’époque : adapter la ville aux voitures.
La Défense à Paris: un modèle pour la rénovation urbaine
En France, c’est le projet de rénovation urbaine de La Défense qui symbolise l’émergence de l’urbanisme sur dalle dans les années 1950. N’ayant d’abord vocation qu’à apporter des solutions à l’insalubrité du quartier, ce projet s’est trouvé confronté à de nombreuses autres problématiques dont la question de la ségrégation des réseaux de transports, des infrastructures et des piétons. Le passage sous la dalle d’une voie routière qui permette de rejoindre Paris, du métro, de parkings, là où l’espace supérieur est dévolu aux piétons est devenu une référence pour les projets de rénovation urbaine. C’est ainsi qu’Arretche proposera pour le projet du quartier Colombier le principe d’urbanisme sur dalle.
Quelques années plus tard…
Cependant, à cet engouement succèdent très vite des critiques : d’une part la fracture avec les villes anciennes et le principe de destruction des centres anciens est de plus en plus mal vu, d’autre part ces constructions denses, bétonnées n’arrivent pas à attirer les piétons. Froids, ces espaces sont jugés illisibles et parfois donnent à ceux qui les arpentent une sensation d’insécurité. Petit à petit, à cette stratégie verticale sera donc remplacée par une pensée horizontale qui éloignera la voiture du centre au lieu de chercher à l’y intégrer. Aujourd’hui ces espaces subsistent et tentent de se renouveler malgré les critiques plutôt nombreuses qui leur sont adressées.